jeudi 4 octobre 2012

50e anniversaire de la Banque centrale de l’Union monétaire ouest africaine : Lettre ouverte au Gouverneur de la Bceao


                                                            M. le Gouverneur,
C’est avec stupéfaction que nous avons pris connaissance du programme du Symposium du cinquantième anniversaire de la Bceao que vous vous préparez à organiser en grande pompe les 5 et 6 novembre 2012 au siège de la Ban­que centrale des Etats de l’A­fri­que de l’Ouest (Bceao) à Dakar.
En effet, plus de cinquante ans après les indépendances des Etats de notre Union, cinquante ans durant lesquels nos Etats ont for­mé des centaines d’intellectuels : économistes, historiens, sociologues, politologues, etc. qui se sont spécialisés sur la problématique de la monnaie en Afrique de l’Ouest, quelle ne fut notre surprise de dé­couvrir les noms des principaux intervenants à cette grande messe programmée.
Mario Draghi, Gouverneur de la Banque centrale européenne, Ben Bernanke, Gouverneur de la Ban­que centrale américaine (la Fed), Chris­tine Lagarde, Directrice gé­né­rale du Fmi, Christian Noyer, Gou­verneur de la Banque de Fran­ce, Paul Krugman, Prix Nobel d’E­conomie, Joseph Stiglitz, Prix No­bel d’Economie, etc. excusez du peu !
Pas un seul universitaire de l’espace Uemoa comme intervenant principal et le seul à avoir été invité à prendre la parole devant cette auguste assemblée se contentera de commenter  un exposé d’une universitaire française dont les liens consanguins avec la zone Franc sont avérés.

M. le Gouverneur, vous ne pouvez pas être fier d’un tel programme de célébration du cinquantenaire de l’Union monétaire ouest africaine. A l’extraversion réelle et monétaire de nos économies, vous ne pouvez pas ajouter l’extraversion intellectuelle, plus de cinquante ans après l’indépendance de nos Etats. A la servitude monétaire issue du pacte colonial, vous ne pouvez pas ajouter la servitude volontaire de la délocalisation de la pensée sur le bilan et les perspectives de la gestion de notre monnaie commune.

M. le Gouverneur, ce serait faire insulte aux intellectuels de l’espace Umoa que de les priver d’un débat sain, franc et sincère sur l’état de notre zone, aux prises avec une multiplicité de crises : sociopolitiques, économiques, identitaires et la place que la gestion de la monnaie doit y prendre. Le panel de haut niveau de l’Umoa qui a travaillé en 2009 et 2010 de façon prospective sur l’espace Umoa à l’horizon 2020, a identifié trois principaux défis à relever par l’Union : l’éducation et la culture, la technologie et l’innovation et enfin la gouvernance. De quelles manières notre monnaie pourrait contribuer efficacement à relever ces défis ? De même, le Plan stratégique 2011-2020 de la Com­mis­sion de l’Umoa, qui s’intéresse à l’avenir de la Commission stricto sensu et non plus à celui de l’espace Umoa dans son ensemble, a défini cinq axes majeurs de travail, dont l’approfondissement du marché commun, l’amélioration de la performance des Etats membres et le développement des synergies et partenariats avec les autres organismes d’intégration régionale.
Ces axes paraissent stratégiques pour le succès de l’intégration régionale en Afrique de l’Ouest. Il serait à cet égard souhaitable que la prise en charge de ces préoccupations qui sont le fruit d’un processus largement participatif au sein de l’Union, puisse être compatible avec les orientations de notre dispositif de gestion monétaire, dans le cadre d’un Policy-Mix optimal. 
De même, il serait hautement souhaitable que vous preniez ex­plicitement en charge la question cruciale des liens entre la multiplicité et la récurrence des chocs affectant la zone Umoa et l’absence de réponse structurelle aux problèmes de développement de la zone. Part belle devrait donc être faite à la préoccupation démographique, à la disponibilité des infrastructures, à l’éducation des populations, à la maîtrise de l’espace communautaire et au rôle du politique aux prises avec les problèmes de légalité et de légitimité.
M. le Gouverneur, à l’heure où des milliers d’enfants souffrent de faim, de malnutrition, de conséquences fâcheuses de sécheresse ou d’inondations au sein de notre espace communautaire, à l’heure ou une grande partie du territoire de notre zone est aux mains de forces obscurantistes au Mali, vous ne pouvez pas vous permettre de brader ainsi la délégation de souveraineté que nos Etats ont concédée à la Banque Centrale, en dépensant des centaines de millions de franc Cfa pour entretenir le narcissisme anachronique de l’Institution que vous avez l’honneur de gouverner.
M. le Gouverneur, la place des doyens des facultés des sciences économiques et de gestion des universités de l’espace Umoa que vous avez bien voulu inviter au Sym­po­sium du cinquantième an­ni­versaire de la Bceao, ne devrait pas être celle que vous leur assignez à l’heure actuelle, à savoir celle de spectateurs disciplinés de discussions qui les concernent au premier chef. Elle devrait au con­traire être celle des conducteurs du véhicule de la pensée sur notre a­ve­nir commun.  La recherche africaniste est vieille de ses écoles de pensée et riche des faits stylisés is­sus de ses multiples terrains de re­cherche. Il n’y a aucune raison que les solutions aux problèmes que vivent les populations africaines soient corsetées par les recettes du prêt-à-penser idéologique, pro­venant de Washington, de Franc­­fort, de Paris, et nous en oublions.
M. le Gouverneur, permettez-nous, pour finir, de faire nôtre un conseil d’un éminent fils du Burkina Faso, «pays des hommes intègres», un historien au­jour­d’hui disparu dont l’avenue qui longe le siège de la Commis­sion de l’Umoa porte le nom, il s’agit du Pro­fesseur Joseph Ki Zerbo, qui avait l’habitude de dire : «Il ne faut pas dormir sur la natte des autres car c’est comme si on dormait par terre…»
Par Kako NUBUKPO
Agrégé des Facultés de sciences économiques,
Président de l’Association africaine d’économie politique


1 commentaire: