mardi 5 août 2014

REPONSE D'UN PAIEN !


Monsieur le Recteur, pourquoi nous insultez vous ?
Dans le quotidien Sud du 03 mars 2014, le professeur Ibrahima Thioub, professeur d’histoires de renom s’il en est, passe en revue les tares ataviques de nos pays. Ça nous vient pour l’essentiel, prêche-t-il, de notre culture "Tiédo". Vous savez bien, ces païens sans foi ni loi… 


Eh bien, pour ce docte penseur, la panacée est toute trouvée : "La lutte contre les pratiques ceddo, les cultures de prédation, passe par les luttes populaires informées par une critique intellectuelle capable de mobiliser les citoyens. Les révolutions politiques et culturelles survenues en Sénégambie comme les critiques intellectuelles majeures contre le système de prédation ont souvent été dévoyées. Les Ceddo vaincus ont été rapidement recyclés dans la chefferie indigène de l’administration coloniale en tant que chefs de canton. Ils ont ainsi continué comme par le passé à ravager les communautés paysannes. Ils se sont par la suite infiltrés dans les confréries religieuses en expansion, pour y poursuivre les mêmes pratiques, tout à l’opposé du jihad de l’âme promu par Cheikh Ahmadou Bamba, El Hadji Malick Sy, Limamou Lahi, Cheikh Bouh Kunta, fondé sur le renoncement et le refus de la jouissance des biens matériels. Les écrits et pratiques de ces lettrés musulmans soufis constituent à mon sens la critique intellectuelle et religieuse la plus radicale de la culture de prédation au Sénégal".
La diatribe du brave homme contre les Tiédos me rappelle une fable très païenne. L’affaire que je vais vous conter survient en période de sècheresse. Les animaux, aux temps où ils parlaient comme vous et moi (croyance païenne, toujours) lassés de guetter les premières pluies qui n’arrivent pas, décident de consulter leurs diseurs de boniments, histoire de savoir à quels rituels sacrifier pour ramener l’eau sur terre.
Le verdict du mara-bonimenteur tombe alors, impitoyable : il faut immoler le plus laid de la faune. La sentence est à peine prononcée que Bouki (l’hyène) fond en larmes. Avant de glisser sournoisement : "Ne vous méprenez pas, c’est la mort prochaine de mon ami et frère le singe qui m’attriste".
J’aurais bien voulu en rire, de la saillie du professeur Thioub, autant que de cette fable d’une cruelle lucidité sur l’habituelle lâcheté des sociétés humaines. Sauf que le Tiédo que je suis se sent insulté jusque dans son identité la plus profonde. Et le simple homme que je suis se sent bafoué dans son intelligence.
Comment le professeur d’histoires qu’il est peut-il oublier que l’humanité n’a jamais été qu’un long chapelet de rapports de forces ? Même l’islam, que ce brave lettré présente comme "la critique intellectuelle et religieuse la plus radicale de la culture de prédation au Sénégal" nous arrive sur le continent par la guerre, les crimes et les razzias. Nous autres, les Tiédos, avons bon dos. En cette période de sècheresse, nous passons pour les plus laids, n’est-ce pas ?
Le raccourci est aisé, et la cible facile. Monsieur le docte professeur, assurément, ce n’est pas une armée de Tiédos qui viendra raser votre maison parce que vous avez insulté leurs aïeux. En revanche, et vous le savez mieux que moi sans doute, s’il vous arrivait de désigner les vrais responsables du pillage de nos maigres ressources et de la régression de la pensée, suivez mon regard, c’est la horde de leurs talibés qui viendrait vous faire la peau avant de réduire en ruines et cendres votre patrimoine.
Certains de ces musulmans irréprochables profiteraient sans doute du désordre pour vous piquer votre portable et votre télé, vos bijoux de famille et tripoter les fesses de vos femmes et enfants… Qui sait ? Le Tiédo que je suis, à en croire une vieille griotte, est le descendant de personnages colorés, sans doute, mais qui placent par-dessus tout, le courage (que l’on dit la mère des vertus), le sens de l’honneur et des responsabilités.
Si vos guides professaient les principes qui fondent les grandes nations, on le saurait…
Les Tiédos, dont je suis un rejeton dégénéré, c’est vrai, vivaient du galack, l’impôt que les pauvresbadolos se sentaient obligés de verser pour qu’on leur colle la paix. Dites-moi quelle société au monde ne fonctionne pas sur ce modèle ? Elle me disait, la griotte, que mes aïeux vivaient surtout de chasse, quand ils ne faisaient pas la guerre.
Leur goût prononcé du sang ? Toujours est-il que de retour de leurs tribulations, le gibier (ou le butin) était partagé de la sorte : la première part, avant tout, prenait la direction des cases des captifs, les esclaves. Un chef de tribu redoutait surtout de croiser un de ses esclaves sorti pour aller chercher sa pitance. Selon les croyances, ça portait malheur.
Eh bien oui, les captifs n’étaient pas tous mis aux enchères. Ils finissaient même par être de la famille. Toujours lors du partage du butin, après les esclaves, c’était ensuite la part des vieillards, des femmes et des enfants auxquels les meilleurs quartiers de gibier étaient réservés. Ensuite aux notables et aux indigents.
Et la griotte de conclure par cette leçon d’altruisme : un vrai chef de clan ne garde pour lui que des os à ronger. C’est pourquoi, généralement, il mange seul dans son coin. C’est le prix du respect… Nous ne sommes pas des soufis, et n’en avons pas l’inclination naturelle, ni même l’ambition. Mais rien ne doit autoriser qui que ce soit à nous insulter dans nos coutumes et nos traditions.
On ne choisit pas ses origines mais, chez nous autres, Tiédos, le lait que l’on tète à la naissance nous inculque le culte de l’honneur et la fidélité à nos principes de vie. Nous ne sommes plus très nombreux à l’assumer, certes. Et c’est bien pourquoi la rengaine la plus répandue reste la crise des valeurs. Si les nouveaux maîtres du pays les cultivaient auprès de leurs ouailles, ou enseignaient les principes qui fondent les grandes nations, ça se saurait. Libre à vous de vous prosterner aux pieds de qui vous voulez. Mais ça ne vous donne pas le droit à l’outrage public.
Les appellations avec le temps ont changé. Il n’y a certes plus de roi, ni d’esclaves. Mais pensez-vous vraiment que les disciples sur lesquels leurs guides ont droit d’obole, ainsi que de vie et de mort, sont mieux lotis ? Ou les politiciens qui commanditent des attentats et même des assassinats auprès de leurs militants quand ils ne les envoient pas au-devant de la canonnade, méritent plus le respect ? Vous semblez pourtant prêt à tout pour faire partie de leurs basses-cours. Grand bien vous fasse.
Le vrai drame, au fond, est que vous reflétez à la caricature la faillite de la pensée. A force de regarder votre nombril et de le trouver sublime, vous en oubliez pourquoi vous avez tant trimé à l’université. Il vous a suffi de vous accaparer d’un titre prestigieux pour le simple droit de déblatérer dans les médias en veillant à présenter votre côté le plus photogénique aux caméras. C’est aussi cela, la culture de l’accaparement. Une manière d’imposture dont je me balance tant que vos postillons ne me touchent pas. Là, vous avez craché sur le tombeau de mon aïeul…
IBOU FALL, journaliste, seneplus.com
POST SCRIPTUM : Justement, à propos de tombeau, c’est peut-être le lieu de présenter une revendication légitime : quand on est dakarois et Tiédos donc, ni musulman, ni catholique, où est-ce que l’on peut se faire enterrer décemment quand on ne s’appelle pas Blaise Diagne ?
Moi, le descendant des Tiédos, un rien alcolos, limites pédophiles mais surtout épicuriens impénitents, j’ai aussi une pensée pleine de compassion pour tous ces homosexuels dont les compatriotes traînent la dépouille de ville en village parce que ces braves croyants n’acceptent pas de les enterrer dans leurs cimetières au risque de compromettre leurs places au paradis, à la droite du bon Dieu.
Une raison supplémentaire pour qu’un cimetière municipal et laïc, républicain pour tout dire, vienne réparer cette ignominie : l’oubli de notre droit à une sépulture décente. Une nouvelle colle à l’intention du professeur d’histoires grassement payé pour réfléchir sérieusement aux questions pratiques.

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