mercredi 13 mars 2019

UN CONTE...

Un roi avait plusieurs enfants, tous remarquables par leur beauté et par leur taille, à l’exception d’un seul qui était petit et difforme. Il ne put s’empêcher de le regarder un jour avec mépris. Le jeune prince, qui avait beaucoup d’esprit, s’en aperçut, et lui dit :
– O mon père ! un nain bien instruit l’emporte sur le géant qui ne sait rien. Ce n’est pas par la masse, mais par le prix qu’il faut juger des choses. La brebis se fait aimer par la propreté, l’éléphant est toujours sale. Sinaï est la plus petite des montagnes, et c’est sur elle que Dieu a opéré le plus de prodiges.
Le roi sourit et les courtisans applaudirent; mais une haine violente s’alluma contre lui dans le cœur de ses frères.
Tant qu’un homme ne parle pas, sa vertu reste comme ensevelie. Ne méprisez personne sur son extérieur, car la moindre touffe de bois peut déceler un lion ou un tigre.
Le roi fut attaqué peu après par un ennemi puissant, et les deux armées se trouvèrent bientôt en présence. Le jeune prince, poussant le premier son cheval dans le champ de bataille :
– O mon père ! dit- il, ne craignez point de lâcheté de ma part : vous me verrez bientôt couvert de sang et de poussière, car la guerre est un jeu cruel qui ne se paie qu’avec le sang. Il attaque en même temps les ennemis et terrasse les plus braves; puis, revenant vers son père, il baise la poussière de ses pieds et lui dit : Vous voyez devant vous ce fils si disgracié de la nature, puisse-t-il vous avoir prouvé que ce n’est pas la masse du corps qui fait le vrai courage! Dans un jour de bataille, c’est d’un cheval vigoureux et non pas d’un boeuf engraissé qu’on a besoin.
Le combat étant engagé, l’armée des ennemis était supérieure en nombre : celle du roi. déjà effrayée, commençait a plier, lorsque le jeune prince lui adressant la parole : Si vous êtes véritablement des hommes, venez combattre avec moi, et n’allez pas faire croire par votre fuite que ce sont des femmes qui sont cachées sous vos vêtements. Animées par ce discours , les troupes revolent au combat et remportent la victoire. Le roi, enchanté, baise alors la tête de son fils ; et sa tendresse pour lui croissant chaque jour, il partage avec lui le gouvernement du royaume.
Ses frères alors, plus irrités contre lui, formèrent le complot de l’empoisonner ; ils mêlèrent du poison dans les mets qui lui étaient destinés ; mais sa sœur, qui les avait aperçus d’ une salle supérieure, frappa les battants de la croisée pour avertir le prince du danger qu’il courait. Il comprit le signal et s’abstint de manger en disant : Ce n’est pas aux gens de coeur à mourir et à céder leurs places aux lâches. Quand même l’aigle n’existait pas, qui des oiseaux voudraient se mettre sous la protection de la chouette ?
Le roi fut instruit du complot, et pour punir les coupables , il les dispersa dans divers lieux de son royaume, espérant que, quand ils ne se verraient plus, leur haine s’éteindrait insensiblement.
Les sages ont dit avec raison que dix pauvres peuvent coucher et dormir dans un même lit, mais que deux rois ne peuvent tenir dans le plus vaste royaume. Un homme charitable a-t-il la moitié d’un pain, il s’empresse de le partager avec les pauvres; mais un roi qui vient de s’emparer d’un royaume songe d’abord à la conquête d’un autre !

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