mardi 14 septembre 2010

LE MARABOUT ET LA POLITIQUE : ALCHIMISTE, BOUCLIER OU GOUROU ?

« Si on ne fait pas de la politique, la politique se chargera de vous faire » est l’argument favori brandi par tout politicien débutant pour expliquer son entrée en politique. Vaut-il, cependant, pour tous au regard de la prééminence de la politique politicienne dans la société sénégalaise ?

Telle une pieuvre, en effet, elle étend ses tentacules dans tous les segments de la société sénégalaise. Un tel constat est attesté en partie par la prépondérance de la rubrique politique dans la presse écrite et parlée, en partie par la grande diversité d’origines des acteurs du champ politique. Y compris les marabouts. Certains parmi ces derniers, d’ailleurs, en sont arrivés à revendiquer sans vergogne leur statut de marabout-politicien.

Les marabouts sénégalais n’ont jamais été, à la vérité, éloignés de la politique. Mais c’est bien la politique qui est allée vers eux ; ce sont les colons tout d’abord qui les ont toujours suspectés de vouloir mener des guerres saintes, ce sont, ensuite, les leaders politiques nationaux qui sont allés chercher leur soutien. Un soutien payé de retour par une quasi-institutionnalisation des cérémonies religieuses, un savant roulement entre les différentes familles religieuses en passant, dont l’organisation appelle un soutien multiforme de l’Etat.

L’Etat est même pour beaucoup dans la survivance /fortification de certaines familles religieuses si l’on se rappelle que ce fut le Président Senghor qui institua les califats généraux (tidjane, qadriya, layene et mouride) à l’instar des quatre courants de pensée. Le président - poète tenait, peut être, à « s’accommoder » ses soutiens musulmans qui l’avaient préféré, lui le catholique, au mahométan Lamine Gueye mais aussi, sans nul doute, en homme méthodique et avisé, à formaliser les passerelles d’une nécessaire collaboration entre le pouvoir temporel et spirituel qui consacrait le rôle de régulateur social du marabout.

La situation a beaucoup évolué depuis lors et cette collaboration a perdu de sa substance, voire absolument dénaturée. Du coté du pouvoir, les successeurs de Senghor se sont mis à se mettre à genoux devant les marabouts et à manifester publiquement leur appartenance confrérique. Une situation qui cause des embouteillages insolites et non moins cocasses de gros bonnets politiciens dans les salles d'attente des marabouts à la veille des cérémonies religieuses.
Qui pour raffermir sa position de pouvoir, qui à la recherche de bénédictions, mais qui toujours pour s’attacher les faveurs du marabout…

Parmi les cérémonies les plus imposantes au Sénégal, on note le Magal de Touba c'est-à-dire la célébration du départ en exil, du fait du colon, du guide vénéré et non moins fondateur du mouridisme. Cette manifestation la plus grandiose du Sénégal est sans conteste un avatar de la volonté de l’ancêtre soufi qui avait plutôt demandé à ses adeptes de la célébrer partout où ils se trouveraient.
Son importance a fait que l’antichambre du calife général de Touba est le plus couru en tout temps.

De cette situation, toujours, procède, du coté du pouvoir spirituel, une rivalité insidieuse entre confréries/familles religieuses/marabouts pour exiger des quotas de postes administratifs au profit de leurs ouailles ou pour se faire représenter par un membre de leur famille.
La valeur d’un marabout, se mesurant désormais au nombre de ses « talibés » aux commandes de postes stratégiques, induit, ce faisant, une nouvelle dynamique.
Une nouvelle dynamique du donnant-donnant qui, l’air du temps aidant, fait de la politique la principale source de revenus et de moyens de subsistance du marabout. Et fait peser, par conséquent, une dure pression sur l’Etat.

Nous devons reconnaitre tout de même que ce phénomène de l’intrusion active des marabouts dans la sphère politique s’est accentué avec l’avènement des petits-fils à la tête des califats. Cet élargissement des familles est la principale cause de l’émergence des concurrences interconfrériques, exacerbées un tantinet, par le fanatisme exubérant des talibés. Sous son mode, la chasse aux talibés, avec la prolifération des dahiras de toutes obédiences, a pris une nouvelle tournure. Pour constituer, entre autres, des armées parallèles dont on use toujours comme moyen de représentation politique mais surtout comme instrument de vil chantage contre l’Etat, mais aussi contre son chef, le Président de la République.

L’agrandissement des familles religieuses a favorisé également l’avènement d’une nouvelle classe, celle des marabouts affairistes qui reprennent à leur compte le fameux adage comme quoi l’argent n’a pas d’odeur. Si bien que dans nombre d’alvéoles de la ruche musulmane sénégalaise, l’ascèse de l’ancêtre soufi est passée de mode, la cupidité est l’actuel code de conduite. Si l’on ne délaisse pas l’œuvre des soufis autochtones pour embrasser des préceptes d’ailleurs détonnant clairement avec nos traditions.

Il y en a qui empruntent, plutôt, le chemin du prosélytisme inter-islamique et acceptent des financements pour modifier les pratiques religieuses de leurs frères et sœurs en islam…

D’autres marabouts privilégient le chemin des Lieux Saints de l’Islam ou environs pour s’accaparer de la manne de la zakat à eux remise par de riches musulmans au profit de leurs pauvres coreligionnaires d’ailleurs.

Là ou d’autres préfèrent enlever des enfants à leur famille sous le prétexte de les éduquer à l’islam pour en faire des mendiants ambulants du bien être de leur maitre.

Et à mon avis, il ne faut pas chercher loin la cause de la multiplication des scandales financiers dans notre pays. Car tous les scandales se retrouvent tout naturellement dans leur aspect financier.

Le marabout affairiste, du type local i.e. engoncé dans d’amples grands boubous amidonnés, n’opère pas seul, c’est qu’il a besoin de passer une couche de vernis légal, qu’importent la qualité et l’épaisseur, sur ses actes.

Vecteur plénipotentiaire de trafic d’influence, il bénéficie aisément de la complicité, peu ou prou, de l’administration. Et son domaine de prédilection est le foncier, parce qu’assuré de lever facilement les fonds qu’il veut. Il est symptomatique, à ce propos, de rappeler que lors d’une récente enquête sur la corruption au Sénégal, l’on a été étonné de voir que le secteur bancaire occupait le premier plan.

On ne prête qu’aux riches, c’est vrai, mais on prête surtout à ceux qui savent saluer « à la façon mouride », selon l’expression consacrée !

Les régulateurs sociaux sont devenus par la force des choses, une modernité mal assimilée notamment, des charognards sociaux. Ils ne répugnent guère à taire les souffrances de leurs concitoyens – s’ils ne les exploitent pas au passage - pour assouvir leur avidité sans égal.

N’avons-nous juste assez de religion que pour nous haïr ? Et pas assez pour nous entr’aimer ?

C’est que l’alternance politique survenue en 2000 dans notre pays a été interprétée de la façon la plus négative qui soit, en effet, pour beaucoup, il ne s’agissait rien moins que d’avoir fait descendre les « gorilles » socialistes des cimes pour que les « «singes » de tous acabits puissent monter pour regarder d’en haut à leur tour et connaitre l’ivresse des hauteurs.

D’où cette pagaille rocambolesque résultant de la course aux milliards qui jette le discrédit sur les grands chantiers et continuera, pendant longtemps encore, de lester légitimement toute ambition.

Ousseynou Niang

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