Le Gourou gardait toujours une longueur d’avance sur son monde. Bien avant tous, encore, il avait perçu la mue silencieuse du mal : une espèce mutante qui germait parmi la vermine du Monstre. Il avait compris que les vaincre exigerait cette fois ci plus que de la vigilance, une lucidité presque surnaturelle.
Elle etait composée de zombies insensibles à la honte, des automates dressés pour houspiller le Gourou, des marionnettes mues par les caprices du Monstre : ils n’avaient ni raison, ni conscience, ni âme. C’était la revivification d’un vieux mal, l’esprit servile des esclaves de salon ressuscité, toujours prompt à servir, jamais prompt à penser. Dont le rôle et la responsabilité historique n’avaient jamais été vraiment suffisamment documentés.
Seul le Monstre n’avait pas compris qu’avant de livrer bataille, on en évaluait d'abord les pertes probables. Cette imprudence sonna le glas de sa lente descente aux enfers. Satan l’y attendait-il ?
L’Ouroboros avait patienté, observé, capitalisé sur les fissures du Monstre. Il avait assimilé les leçons du monstre et de ses tentatives passées, comme le serpent se repaît de sa propre queue. Sinon, comment expliquer autrement le zèle sans gêne de ses Alpha, Beta et Delta — cette engeance insolente qui, sans vergogne, entreprenait de purger les sphères de décision des éléments haillonneux ?
C’était cocasse et inédit dans les annales du pouvoir : un parti victorieux, jadis marginalisé, se voyait dépouillé par celui qu’il avait porté sur le trône. Une bande d’opportunistes, pareils à des prêtres dévoyés, avait fait le vide autour du Monstre pour mieux le façonner selon ses désirs.
Le premier signe de la perdition fut ce manque de volonté de faire la lumière sur les crimes du passé — cette ère de fureur meurtrière, de folie castratrice et de malfaisance méthodique qui s’était abattue sur les troupes haillonneuses sans pitié ni répit. Comment la racaille pourrait-elle livrer ses galeux ? Et leurs alliés véreux de la marmaille, accepteraient-ils jamais de les juger à la lumière ?
Le second signe se lisait dans la protection sibylline accordée aux bandits des grands chemins, ces rapaces du chaos qui, aux côtés du Monstre, avaient mis le Gourouland en coupe réglée. Ils l'avaient courtisé pour mieux le dépouiller, l'avaient pour mieux se rapprocher du butin et avaient taillé le pays sans merci tel qu'on ferait d'un cadavre rituel.
Ce sadisme freudien de l’Ouroboros avait conquis la racaille, la marmaille et le Monstre. C'était un gage précieux de son engagement au sein de la sinistre alliance ou le représentaient ses épouvantables Alpha Beta et Delta. La confiance était définitivement établie.
Mais le Monstre, fidèle a sa nature mauvaise, gardait un soupçon de lucidité. Que voulait réellement l’Ouroboros ? Pourquoi ? Maintenant ? Et surtout… après ?